Monographie 1886
COMMUNE D’ARGUT-DESSUS
MONOGRAPHIE
La commune d’Argut-Dessus est située au sud-est de Saint-Béat, chef lieu de canton. Sa latitude est de 42°,4 et sa longitude occidentale de 1°40′. Elle se trouve bornée au sud et à l’Est par les montagnes de Fos et de Melles ; au Nord par la forêt de Boutx, à l’Ouest par le territoire d’Argut-Dessous. Sa superficie est de 783 hectares ; Sa distance de Saint-Béat, de 5 kilomètres, de Saint-Gaudens de 34, et de Toulouse de 122.
Le sol de la commune d’Argut-Dessus est composé de prairies, de terre labourable, de bois, essence hêtre, et de bruyères ; il est établi sur une forte pente, sujet aux éboulements, à la suite de fortes pluies ; de nombreux ravins s’y forment par de grands orages et emportent beaucoup de bonnes terres, ce qui appauvrit le terrain qu’on ne peut réparer qu’à force d’engrais et par l’excellente habitude qu’ont les gens d’enlever, une année entre autre, une quantité de terre de la partie du champ où elle s’est entassée, et de la porter dans les endroits où elle manque. Travail pénible, mais nécessaire et avantageux.
Les montagnes, assez élevées, se terminent en crêtes et sont de très beaux points de vue du côté de la vallée d’Aran, des Pyrénées, des plaines de Tarbes, de Saint-Gaudens, de l’Ariège. La partie Supérieure est couverte de bruyères, le milieu et la partie inférieure se trouvent boisés, mais ne fournissent pas assez de bois pour les besoins des habitants, une partie appartient à l’Etat et l’autre à la commune ; Les roches sont chisteuses, on y trouve cependant du marbre rouge avec des raies blanches ; il a été exploité quelque peu dans le temps : les marches de l’escalier qui conduit au cimetière sont en marbre rouge.
Le terrain est très fertile et produit une bonne qualité de blé, qu’on recherche, surtout pour les semences. L’hectolitre pèse en moyenne 80 kilogrammes, il rend aussi beaucoup de farine et fait un excellent pain. Au marché, il se vend toujours 3 francs de plus par hectolitre que celui des autres endroits ; c’est le terrain et la bonne culture qui lui donnent cette qualité supérieure.
La commune d’Argut-Dessus ne possède qu’un bien petit cours d’eau qui tarit en été mais qui se forme en torrent impétueux au moindre orage, ou à la suite de pluies abondantes : son lit est très encaissé et coule presque partout sur le roc. Elle possède plusieurs sources dont l’eau est très potable, fraîche et limpide, trois sont ferrugineuses. Depuis quatre ans, le village se trouve bien approvisionné d’eau ; une source abondante y a été conduite et aménagée en quatre fontaines avec de grands bassins qui servent de réservoir pour abreuver les animaux, et à alimenter une pompe en cas d’incendie. C’est faute d’eau qu’en 1819 et en 1850, il devint en entier la proie des flammes, à peine si quelques maisons se conservèrent, plusieurs familles ont été ruinées et toutes s’en sont plus ou moins ressenties. Aujourd’hui, grâce au progrès et au magistrat intelligent qui administre la commune, au secours d’une pompe récemment achetée à la compagnie des pompiers et à l’abondance de l’eau, les incendies pourront être combattus avec succès.
L’altitude d’Argut-Dessus est de 900 mètres d’après l’ingénieur des mines. Le climat y est sec, mais frais, à cause de son élévation d’abord, et ensuite, de la vivacité du vent d’ouest qui souffle très souvent et avec une certaine violence ; cela fait que la température y est très froide en hiver, chaude en été mais variable, passant de l’une à l’autre aussitôt que le temps se couvre. Cette situation est cause que les gens dans leurs grands travaux sont atteints par des refroidissements subits et exposés à de nombreuses pleurésies, ce sont les seules maladies qui règnent dans la localité et contre lesquelles les cultivateurs sont tenus de se mettre en garde, s’ils ne veulent perdre la vie en peu de jours. Malheureusement, tous les ans, plusieurs de ces vaillants travailleurs rustiques sont victimes de ces changements atmosphériques.
La salubrité règne dans le village d’Argut-Dessus : cela tient à ce que les rues étant situées en pente, les eaux pluviales emportent la boue et ne forment pas de réservoirs malsains. Mais cet état sanitaire est dû surtout à l’activité de l’air qui ne cesse de se faire sentir, à la fraîcheur de la température, qui au plus fort de l’été rend les nuits, les matinées et les soirées passablement froides. Aussi pas de maladies contagieuses. En 1854 – 1855, le choléra a décimé la contrée, même le village voisin, Argut-Dessous ; Argut-Dessus n’a eu ni cas, ni décès cholérique, et cela, grâce à la situation élevée et à l’air pur qu’on y respire.
La population d’Argut-Dessus d’après le recensement de 1881 est de 393 habitants: elle tend à diminuer, et c’est le colportage qui occasionne cette diminution, certains de ceux qui quittent la commune ne rentrent plus ; ils s’établissent ailleurs, les uns comme commerçants les autres comme ouvriers ; bon nombre de filles de celles gui s’en vont avec leurs parents ou qui se louent, se marient à l’étranger et désertent pour toujours le pays, et de cette manière, la population est continuellement en décroissance.
Le village d’Argut-Dessus est aggloméré et comprend cent sept maisons, il est administré par un Maire, assisté d’un adjoint et d’un conseil municipal, il y a en outre un garde champêtre chargé aussi de la police et faisant également office de valet mandataire ; un garde forestier surveillant la forêt de l’Etat et la forêt Communale.
Pour le culte c’est la religion catholique qui est suivie, c’est un curé qui dessert la commune et qui y réside ; il préside aux cérémonies religieuses qui se célèbrent avec asez de solennité et que les habitants fréquentent avec ferveur ; il y a aussi un conseil de Fabrique qui règle les dépenses du culte et de l’église et dont le Maire fait partie.
Pour les finances, la poste et le télégraphe, ce sont les employés des Bureaux du Canton qui desservent la commune : les gens sont obligés de se rendre à Saint-Béat toutes les fois qu’ils ont à faire à l’un de ces bureaux. Un facteur rural passe tous les jours dans la commune, pour y apporter la correspondance qui y est adressée, et y prendre celle que les habitants envoient ; ce sont les voyageurs qui occupent le plus la poste, étant dans l’habitude d’écrire presque tous les mois, soit pour envoyer de l’argent, soit pour donner de leurs nouvelles.
La valeur du centime le franc est à 1,40615 f. Il n’y a pas de revenus ordinaires. La commune pour parer aux charges qui lui incombent est obligée de dresser tous les ans un rôle d’affouage et de pâturage. Ainsi tout doit sortir de la poche des habitants, ce qui fait qu’on ne peut pas faire de grandes entreprises, ni réaliser beaucoup de projets, quand il n’y a pas d’autres moyens de faire de l’argent ; le particulier est toujours sensible aux sacrifices d’argent si petits qu’ils soient.
Les productions d’Argut-Dessus sont : du blé… aussi e plus de profit, du maïs, des pommes de terre, un peu de seigle et de sarrasin. Il se récolte en moyenne 1000 hectolitres de blé, 1200 de pommes de terre, 500 de maïs, 10000 quintaux de foin et 2000 quintaux ce paille. On procède par labours pour la culture, comme on a toujours fait, en se servant du même genre d’outils aratoires ; on ne fait pas d’expériences, il est vrai que le terrain ne se prête pas beaucoup non plus aux essais. On fait moins de maïs qu’autrefois, et on en mange moins aussi, par contre, on fait plus de pomme de terre, par la raison qu’elles donnent davantage, et ensuite, c’est que la pomme de terre est devenue la principale nourriture, la nourriture quotidienne.
La commune d’Argut-Dessus n’est pas riche en forêts, elle n’a que du bois de hêtre qu’elle emploie pour le chauffage par coupes annuelles ; elle n’en a point pour vendre, ni même, suffisamment pour ses besoins ordinaires ; elle est forcée d’aller puiser dans la forêt de Boutx, limitrophe de celle d’Argut, à l’insu des gardes, de ramasser le bois mort et d’arracher les genêts, afin d’assez s’approvisionner pour l’année et pour l’hiver qui y est rigoureux à cause de l’immense quantité de neige qui y tombe et qui y séjourne la moitié de l’année. Chaque famille a soin de se prémunir de ce combustible pour la saison froide, car il est aussi nécessaire que le pain.
Il n’y a à Argut-Dessus que deux espèces de bêtes : les bêtes à cornes et les bêtes à laine ; les premières au nombre de deux cent cinquante environ forment la principale ressource du propriétaire qui s’en sert pour le travail de la terre, pour le traînage du bois, des produits agricoles, de l’ardoise, et de tout ce qui doit être transporté au village comme hors du village : en outre de l’immense service qu’elles rendent, elles donnent encore des veaux pour la boucherie et du lait qui est une grande ressource pour les familles, du beurre qui vaut 3 f. le kilogramme en été et 2 f. en hiver. Les secondes, au nombre de 600 environ, sont principalement la ressource du pauvre, elles lui donnent la laine pour se vêtir, des agneaux qu’il vend de 20 à 25 f. au bout de six mois ; de plus un excellent fumier dont il engraisse ses champs et ses prés. Jamais les brebis ni leurs produits n’étaient arrivés au prix qu’ils sont aujourd’hui : aussi, celui qui peut élever un petit troupeau est sûr de faire un bon revenu tous les ans.
Pour ce qui est de la chasse, Argut-Dessus, ne possède que ces braconniers qui se livrent, en hiver surtout, quand le sol est couvert de neige, à la chasse du lièvre ; en automne, à l’époque du gibier de passage, ils chassent le biset, la palombe, l’étourneau. Comme ils ne prennent pas de permis, les gendarmes se mettent à leur poursuite, en vain pourtant parce qu’ils ne se laissent pas facilement attraper ; ils ont soin de gagner les champs et de leur montrer les talons. Les chasseurs de Saint-Béat se rendent sur le territoire d’Argut-Dessus, pour chasser les cailles, les perdrix, les coqs-de-bruyère. Le pays est peu giboyeux le corbeau y séjourne pendant l’hiver.
Comme produits, Argut-Dessus possède des mines qui contiennent du plomb, de l’argent, de la blende ; il y a aussi une mine de cuivre. Ces mines ont été exploitées à différentes époques ; mais toujours les compagnies ont dû les abandonner parce que le rendement ne payait pas les frais d’exploitation. La commune possède encore de belles carrières d’ardoise que les habitants ont exploitées de tout temps et qu’ils exploitent encore aujourd’hui ; elles sont une grande ressource pour le village ; le pauvre y trouve sa petite journée pendant les neuf mois de l’année, en extrayant et en façonnant l’ardoise ; le propriétaire y a aussi son revenu, soit en les louant, soit en les faisant exploiter pour son compte. Le traînage à Saint-Béat ou à Fos, est encore pour plusieurs, occasion de gagner quelques sous, chaque voyage se payant 8 f. Pendant plusieurs années une compagnie les avait affermées et les faisait exploiter sur une grande échelle mais les frais étant beaucoup plus grands que les bénéfices, elle les a quittées et s’y est ruinée. Une magnifique bâtisse construite pour servir d’atelier aux ouvriers pour façonner l’ardoise, existe encore, mais elle tombera bientôt en ruines faute d’entretien.
Il n’existe pas de moulin dans la commune d’Argut-Dessus : les meuniers de Saint-Béat et d’Argut-Dessous viennent chercher le grain à dos d’âne et rapportent la farine ; ce service se fait pendant toute l’année, chaque maison est ordinairement munie d’un four, et les familles cuisent leur pain qui est bien meilleur que celui du boulanger et plus nourrissant. Néanmoins, un boulanger de Saint-Béat y fait porter toutes les semaines une certaine quantité de pain qu’un épicier de la commune vend aux habitants. Il y aurait un grand avantage à établir dans le village un moulin communal où chaque particulier irait moudre son grain ; ce moulin pourrait facilement s’établir au moyen d’un bassin qui servirait de réservoir.
Une seule voie de communication existe à Argut-Dessus : le chemin vicinal n° 1 qui conduit à Argut-Dessous; il est établi sur une forte pente et assez mal entretenu. D’Argut-Dessous à Saint- Béat, la pente est un peu plus douce et le chemin est meilleur. Une paire vaches peut faire monter en moyenne un poids de 120 à 150 kilogrammes. Les gens pour aller au marché de Saint-Béat, comme pour en revenir doivent faire la route à pied : il n’y a aucun moyen de transport. Du canton au chef lieu d’arrondissement et de département, on s’y rend en chemin de fer que l’on va prendre à Marignac, où la voiture de Fos porte, ou bien des particuliers de Saint-Béat, moyennant la somme de cinquante centimes. Les chemins communs manquent à Argut-Dessus : c’est par des sentiers affreux, dangereux même, qu’il communique avec Fos et Boutx, il devrait faire tous ses possibles, et demander le concours de l’Administration, afin d’améliorer ses mauvais chemins et ses voies de communication qui en font un pays perdu en haut des- montagnes. Le seul transport de l’ardoise mériterait que le village s’imposât des sacrifices pour avoir une bonne route.
Il y a peu de commerce à Argut-Dessus : son ardoise qui conserve toujours sa valeur et dont le débit est toujours assuré, quelque peu de blé et de pommes de terre. Il s’y fait un assez grand échange de bêtes à cornes : les propriétaires se livrent même au maquignonnage, ils vendent, ils achètent, ils suivent les foires de la contrée, et vont, même jusqu’à Montréjeau et Aspet pour acheter ; ils ont pour habitude de les soigner pendant un certain temps et de les vendre ensuite, aussitôt qu’ils y voient un petit bénéfice. Il s’y vend aussi tous les ans un certain nombre de bêtes à laine : moutons, brebis, agneaux ; les gens nourrissent et élèvent les jeunes pour les vendre ensuite à six mois, un an, deux ans. Il y a dans la commune deux marchands épiciers. De plus un grand nombre d’habitants, hommes, femmes, enfants se livrent au colportage et vont vendre des articles de mercerie et de rouennerie ; leur voyage dure quelquefois plusieurs années; ceux qui sont laborieux et économes réussissent à se procurer quelque chose ; mais ceux qui ne sont pas actifs au travail, qui fréquentent les jeux et vivent bien, non seulement ils ne gagnent rien, mais ils vont dépenser ce qu’ils ont chez eux ; leur maison et tout ce qu’ils possèdent est vendu par expropriation ; ils se trouvent ensuite dans une complète misère.
Les mesures locales en usage dans la commune sont : pour les terrains, la mesure qui vaut 3°,55 cent., le boisseau qui en est la moitié, et le bouchon le quart, et la pugnère le seizième. Pour l’ardoise, c’est la canne qui vaut un mètre carré. Pour les liquides, le barral qui vaut cinquante litres, la bouteille un litre, la tasse un demi-litre et le peyrol un quart de litre. Pour les grains et les légumes, la mesure qui est le quart de l’hectolitre, le boisseau le huitième et le bouchon le seizième, et la pugnère le vingtième.
Le nom de la commune d’Argut-Dessus formé de deux mots : Argut et Dessus viendrait de sa situation : du mot latin Argutus, pointu, aigu, en raison de ses arêtes nombreuses qui se trouvent Sur Son territoire, et Dessus parce qu’il se trouve beaucoup plus élevé qu’Argut- Dessous, dont il est distant d’un kilomètre. La tradition dit que le village a été bâti par des allemands qui auraient commencé l’exploitation des mines et qui s’y seraient établis.
L’idiome du pays a quelque chose de particulier : la prononciation en est lente et défectueuse dans certains mots. Ainsi le j, beaucoup de personnes, surtout celles qui n’ont pas voyagé le prononcent z: pour dire Jean, elles prononcent Zan, les enfants surtout ; le ch on le prononce s, et pour dire chat ils prononcent sa ; cette irrégularité de prononciation est très accentuée et disparaîtra difficilement, c’est à l’instituteur qu’incombe cette correction.
Le chant est assez répandu, surtout le chant d’église : c’est le curé qui forme les enfants quand ils sont clercs, et il les fait chanter à vêpres principalement ; ils conservent cette habitude quand ils sont grands, ce qui fait qu’il y a toujours des chantres et que la messe s’y chante presque tous les dimanche. La jeunesse chante aussi des morceaux patriotiques, des chansons en accords harmonieux, il ÿ a d’assez belles voix.
Les habitants d’Argut-Dessus ont des moeurs bonnes, simples, des habitudes de travail et d’économie, aussi y a-t-il de bons propriétaires, des familles aisées, des gens qui ont même des capitaux. En 1819, lorsque la commune s’est incendiée et à la suite de plusieurs mauvaises années, les propriétaires d’Argut-Dessus furent obligés d’engager leurs terres aux bourgeois de Saint-Béat, même à de forts intérêts.
La commune toute entière se trouva alors très endettée. Mais avec leur caractère actif, les habitudes de travail, d’ordre et d’économie, les habitants se mirent à l’oeuvre et soit avec les ardoisières, soit au moyen du colportage et du revenu des animaux, dans une période de dix années ils payèrent pour plus de cent mille francs, ce qui prouve bien leur énergie et leur valeur. Sans doute, tous ne déploient pas le même zèle pour le travail, et surtout le même goût pour conserver et bien employer l’argent ; aussi il y a des gens qui croupissent dans la misère par leur faute.
Pour ce qui est de la nourriture matérielle les gens d’Argut- Dessus vivent bien mieux qu’autrefois. Ils mangent aujourd’hui plus de viande plus de pain, et surtout, ils boivent beaucoup plus de vin. La soupe dont ils se nourrissent et qui est leur principal aliment, est bien assaisonnée, avec du salé, sans doute, mais elle est nourrissante et salutaire pour les gens de la campagne qui l’ont habituée. Il n’est pas de maison aujourd’hui qui ne tue son beau porc, et dans beaucoup de bonnes familles on en tue même deux, ce qui leur permet de bien graisser leurs pommes de terre et leurs choux pendant toute l’année. Il faut ajouter qu’on ne mange de la viande fraîche que lorsqu’on est malade et pour la fête patronale. Par contre, il se boit à Argut-Dessus plus de 150 hectolitres de vin par an, en moyenne, dans les familles et dans les auberges ; les deux tiers se consomment dans les cabarets.
Le cuite qui se pratique à Argut-Dessus est le culte catholique: les gens conservent de ce côté beaucoup d’anciennes habitudes; il s’y fait tous les ans deux quêtes pour l’entretien de l’église : l’une pour le blé et l’autre pour le maïs ; les gens aiment leur religion, vénèrent le prêtre et font des sacrifices pour l’église.
Les costumes qui étaient autrefois des culottes, veste courte, bonnet de laine, tricoté à la maison, à la forme pointue, sont aujourd’hui comme partout. Le luxe même y apparaît avec un certain éclat les jours de grandes fêtes, surtout chez le sexe : il n’est pas rare, ces jours-là, de voir des jeunes filles sans fortune, parées comme de grandes dames ; tout ce qu’elles peuvent gagner ou ramasser, elles le consacrent à la toilette. Parmi les hommes aussi il n’y a plus de distinction entre l’ouvrier et le propriétaire aisé ; on voit d’ordinaire l’habit de bure sur le second et le drap fin sur le premier. Le terrassier comme la brassière ne regrettent rien pour la parure ; ils retrancheront s’il le faut, quelque chose sur la nourriture pour le mettre sur les vêtements. C’est une maladie générale aujourd’hui, surtout sur le sexe.
Le seul édifice que l’on puisse citer à Argut-Dessus est l’église avec sa tour ou clocher rectangulaire et ses quatre cloches ; elle a été deux fois incendiée et deux fois rebâtie avec les cotisations et les prestations volontaires des habitants ; elle n’a pas de style et n’offre rien de remarquable dans sa construction. La commune a acheté cette année avec ses propres ressources et pour la somme de 1100 francs une belle horloge à deux cadrans ; c’est un objet bien utile.
Il n’y a pas de Mairie : aussi les archives communales se sont-elles égarées ; le plus ancien registre des délibérations municipales date de 1838, et les registres de l’Etat civil de 1800. C’est en changeant de Mairie et en les portant d’un local à l’autre que les papiers se sont perdus.
Le premier instituteur dont on ait le souvenir se trouve être originaire de la commune : c’était un ancien abbé qui après avoir quitté ses études de prêtre se mit à faire la classe : il se rendait dans certaines familles où les enfants se réunissaient ; il leur apprenait à lire, à écrire et à calculer, et leur faisait réciter le catéchisme ; pour tout salaire il n’avait que ce que les gens lui donnaient en reconnaissance de son travail. Cet instituteur a exercé pendant bien longtemps sans traitement régulier ; ce ne fut qu’en dernier temps qu’il fût payé par l’Etat. Après lui plus de dix instituteurs se sont succédé à Argut-Dessus en y demeurant peu d’années chacun ; ces changements fréquents de maîtres n’ont certainement pas fait prospérer l’école, tout au contraire, cela a été une des causes principales qui l’ont fait rester stationnaire malgré le zèle particulier que chaque instituteur a su déployer pour sa classe. L’école a été toujours mixte sous la direction d’un seul maître, bien qu’il y ait des enfants pour en occuper deux ; en proportion des familles, il y a plus de filles que de garçons et une institutrice aurait assez de besogne avec les filles seules. La population qui a été de plus de quatre cent habitants aurait permis d’établir une école de filles, mais le défaut d’un local convenable a fait échouer le projet. Il serait de toute urgence de pourvoir à un local scolaire convenable parce que de tout temps les élèves et le maître ont été très mal logés, et ils continueront de l’être jusqu’au temps qu’une maison d’école sera construite ou achetée. La commune est disposée à faire des sacrifices, ou plutôt les habitants, puisqu’il n’y a pas de ressources communales ; il est nécessaire que l’Etat vienne en aide à la commune et que celle-ci s’impose.
La fréquentation scolaire laisse bien à désirer à Argut- Dessus : la situation des familles, les travaux agricoles, les nombreux troupeaux qui sont une grande ressource pour la commune, le voyage, sont la cause de cette irrégularité de fréquentation. Néanmoins, l’instruction y a progressé, surtout depuis quelques années : il n’y a pas eu de conscrits illettrés ni de conjoints qui n’aient signé leur acte de mariage en 1884, et à l’avenir il ne pourra y avoir que quelque négligent.
La population d’Argut-Dessus est une population flottante : elle se livre au colportage et fréquente en particulier les départements de l’Est et du Sud-Est. Des familles entières s’en vont, ferment leurs maisons, mettent leur bien en rente et ne rentrent qu’après plusieurs années d’absence. Il n’est pas rare de trouver des personnes qui ont jusqu’à 20 et 30 ans de voyage, c’est à dire, tant que leurs forces le leur permettent.
Il existe à Argut-Dessus une bibliothèque scolaire fondée en 1880 ; elle possède plus de cent volumes : le nombre n’a pas augmenté depuis son origine, parce qu’il n’y a pas de ressources à cet effet. Les prêts ne sont pas très nombreux par la raison que les ouvrages existants ont été lus et relus ; il en faudrait de nouveaux et de bons pour exciter et encourager le goût de la lecture. Le Conseil Municipal devrait voter une certaine somme tous les ans pour l’entretien et la prospérité de la Bibliothèque scolaire, et l’Etat faire quelque concession de livres ; c’est par ce moyen qu’elle répondra au but de son institution.
La commune d’Argut-Dessus a l’avantage de posséder une caisse des écoles qui permet de fournir aux indigents tout ce qui leur est nécessaire pour leur instruction ; le montant des ressources s’élève aujourd’hui à la somme de 900 frs.
L’Instituteur jouit du seul traitement de 1230.
Le loyer scolaire est de 120. Chiffre bien trop élevé pour un petit village qui n’a pas de ressources surtout, le local n’étant pas convenable. La commune doit prendre ses mesures et s’imposer les sacrifices nécessaires pour arriver à avoir une maison d’école, et une Mairie.
Argut-Dessus, le 17 juin 1886.
L’Instituteur
Texte très intéressant , par la multiplicité des informations sur la commune et ses habitants.